mercredi 23 janvier 2013

La fugue de Rocky

En sortant de l'International il y avait une affiche de chat perdu. "Ce grand chat roux est sous traitement, c'est très grave. Il porte un collier vert à paillettes". Rocky, il s'appelait. Et j'ai fondu en larmes.
Toute seule sous mon bonnet j'ai pensé à la mort du Roi, j'ai pensé à celle un jour de Yoyo, j'ai pensé à ce beau concert que je venais de voir toute seule, au roman qui sort demain et sans doute j'étais fatiguée en plus de tout ça, alors j'ai pleuré très fort sur la fugue de Rocky le grand chat roux, et le long de la rue Oberkampf on m'a demandé plusieurs fois ce qui n'allait pas.
Des jeunes très jeunes, comme je l'étais il n'y a pas si longtemps mais on voit bien tout de même que je ne suis plus légère comme eux, ils sont si jolis et plein de forces les enfants de vingt ans. Et personne à part eux ne se souciaient de moi à cet instant.

Tout va bien, j'ai répondu en souriant, puisque c'est la vérité.

J'ai séché mes larmes en regardant les rats de la station République entrer et sortir des poubelles comme des magiciens habiles.

Et puis j'ai tenté de consoler Audrey de toutes les choses de la vie, et j'ai chanté une chanson sous la douche qui faisait rimer paquebot et super beau.

Ensuite tout allait mieux.

Demain, l'aventure des oiseaux démarre.


Être à la hauteur.





samedi 19 janvier 2013

Premiers flocons

Depuis que la fièvre est tombée je crève de froid dans cette chambre.
Mes couettes superposées aux couleurs de fille joyeuse pour seul horizon depuis quatre jours, je m'ennuie, je m'ennuie tellement. Je regarde des films, je fais des rêves improbables, je tousse et vomis et me force à manger et revomis et prends des médicaments et me recouche et rêve à nouveau.
Bronchite infectieuse, a-t-il dit, le docteur sourcils froncés et son troupeau d'antibios.
Infecte aurait suffit.
Elle m'éloigne de tout ce qui me fait du bien, mes amis, mon amour.
Je rêve de retrouver possession de mon corps pour retrouver l'envie du sien.
Être seule et malade ça transforme en enfant, les cauchemars et l'abandon, l'égocentrisme et le manque de tout. Les caprices à personne. Yoyo n'en tient pas compte. Elle est juste très heureuse qu'on reste des jours entiers à ne rien faire.
Elle m'énerve, elle m'émeut, puis je finis toujours par ronronner avec elle.

Et dehors tout s'embellit, la neige tamise la ville de silence sous dix-mille baisers froids.

mercredi 9 janvier 2013

Morceau de printemps

Audrey m'a invitée à aller au théâtre avec elle, je suis contente parce que je n'y vais pas souvent (à part pour voir jouer Audrey).
La salle était très belle, le vin très bon, les retrouvailles joyeuses et douces, et la pièce incompréhensible.
Heureusement une mise en scène géniale, comme un tour de magie.
A la toute fin il y a eu deux papillons qui se sont envolés de la scène, je ne sais pas s'ils faisaient partie de la pièce ou bien s'ils s'étaient tout simplement perdus là dans un morceau de tissu et qu'on les a dérangés.
C'était tellement joli, ces deux fleurs volantes qui sont allées très doucement se poser sur un mur du théâtre, du coup j'ai loupé la fin, toute absorbée par ce petit bout irréel de printemps.

Ensuite, Audrey m'a assurée que cette année serait la notre, qu'on allait réussir de grandes choses.
Elle aussi, avec sa robe à fleurs, était un morceau de printemps.
Alors j'ai eu envie de la croire.


mardi 8 janvier 2013

Patinoire

Je lui écris ce matin "J'ai rêvé qu'on allait à la patinoire".
Voilà le genre de choses qu'on s'envoie. Des petites phrases sans attente de réponse, des déclarations en suspens, dans lesquelles on peut entendre "je pense à toi".
On ne passe pas nos journées à s'envoyer des textos ou des mails, et pourtant je pourrais faire ça, j'aime faire ça, je l'ai déjà fait. Avec Marie par exemple on s'envoyait des petits mots sans arrêt, des bonjour, des bonne nuit, des je t'aime et tu me manques. Je sais faire ça mais je m'adapte.
Je suis un caméléon.
Je m'adapte à Tigre, qui n'est pas trop téléphone, ni longs mails ni rien de ce genre. Tout l'inverse de Marie.
Déjà, c'est un garçon.
Et puis il n'est pas exactement mon petit ami.

Marie depuis a eu un enfant avec une autre fille que moi et je ne peux pas m'empêcher de regarder les photos qu'elle met sur facebook. Il n'y a jamais de photo de l'autre fille, mais je la connais. Je regarde l'enfant et Marie et je me dis que je n'aurais jamais voulu de cette vie avec elle. Je suis vraiment contente qu'elle n'ait pas eu besoin de moi pour être heureuse. Devoir être responsable du bonheur de quelqu'un, bonjour l'angoisse.

Mes patins à glace avaient d'immenses talons, mais j'arrivais à courir vite sur la patinoire. Des gens mettaient des notes et Tigre avait les meilleures. Je lui disais qu'il couchait sans doute avec le jury. Il m'avouait que oui et ça me rassurait. Ensuite, un chat qui n'était pas Yoyo accouchait dans un coffre de voiture de petites poupées de chiffon. Tigre me disait "je ne sais pas ce que ça mange mais on va se débrouiller"



lundi 7 janvier 2013

Sur le toit

Mon roman de janvier tout droit sorti de chez l'imprimeur m'attendait chez Stéphane, en pile gigantesque sur la petite table d'écolier, devant la seule chaise alentour.
Quand il est à Paris Stéphane habite une chambre de bonne en haut d'un immeuble chic près de la Seine. La chambre donne sur un toit qui donne sur la tour eiffel. Je suis tellement amoureuse de la tour eiffel. Rien pour moi n'est cliché dans cette majesté.
On était bien, sur le toit, j'aime Stéphane et sa bienveillance, Stéphane et ses beaux combats.
Je suis contente qu'il soit mon éditeur.
C'est bien de faire partie de cette famille.

J'ai donc dû signer cette pile de livres, mes petits, mes enfants. Mettre un mot gentil à des gens que pour la plupart je ne connais pas en espérant qu'ils le lisent, qu'il leur plaise, qu'ils en parlent. Le tiercé nécessaire à la vie d'un roman aujourd'hui.

Stéphane me dit "je n'ai que deux cd ici". Alors on a écouté celui de Ruddy. La musique de Ruddy c'est une inspiration quasi divine. Je suis heureuse qu'il soit mon ami.

Au restaurant japonais je n'ai pas beaucoup mangé. Je pensais que si, mais Stéphane m'a dit "tu ne manges pas beaucoup" alors j'ai cru entendre Tigre.
Je n'y peux rien si tous les deux font deux mètres et sont des ogres.

Stéphane m'apprend que le jour de mon anniversaire je serai en dédicace à Saumur et ça me rend heureuse.
Les salons du livre en province sont comme de petites fugues, des écarts faits au monde, des promesses de rencontres et de bon vin. La vie la vraie.
Si j'étais célèbre je passerais tous mes week-ends en dédicace. Et mes semaines au bord de la mer. Être Sagan, être Duras, être Sarah Kane, être Sylvia Plath avec modération.


Depuis la baignoire je crie à Yoyo "je me rince et j'arrive". Elle commence à mordre des trucs qu'elle trouve dans mon sac à main. Elle a faim. Elle me regarde lui dire que je me dépêche et que je fais de mon mieux, je me demande si elle pense que je suis un peu folle de parler à mon chat.

Penser à racheter une petite pelle - je ne connais pas le nom exact, une pelle de balayage ? - parce que Yoyo l'a balancée sur le toit.

Penser un jour à discuter entre quatre yeux avec ce chat.



Les textos de Tigre pour me dire que je lui manque.
Nos corps en attente.



dimanche 6 janvier 2013

Les femmes d'avant

Ce week-end j'ai lu un vieux livre de Tigre. Il a tellement de talent que je lui ai envoyé ce texto "je suis contente de t'aimer". Mais très vite, ça n'a plus été seulement ça.
A lire ces choses écrites avant moi, je me suis sentie jalouse faible superflue.

On ne devrait pas aimer un écrivain.
En tant qu'amoureuse, on espère toujours qu'il n'y aura pas eu de femme avant nous. En tout cas on fait comme si. En tout cas on essaie.
Amoureuse d'écrivain on espère surtout qu'il n'y aura pas eu de muse avant nous. Car c'est pire.

Parfois sur la première page du livre : la dédicace à l'Autre. L'horreur. Le ventre en marmelade. Des envies de couteau dedans.

La première fois que j'ai vécu une histoire d'amour, je l'avais inventée. C'était de l'encre sur du papier, c'était une histoire écrite pour Emma - toutes les nuits on s'écrivait des histoires, ça a duré des mois, des années peut-être, la plupart de ces lettres folles sont perdues maintenant - et ce personnage récurrent qui s'appelait Paul, dont j'étais follement amoureuse, c'était déjà Tigre. Je m'en rends compte maintenant.

A 16 ans, j'aimais Tigre mais je pensais qu'il n'existait pas. Il m'a fallu attendre quinze ans pour enfin l'embrasser.

Ce pouvoir qu'on a.
Celui qu'on croit avoir en tout cas.
(c'est la même chose)






samedi 5 janvier 2013

L'âme des choses mortes

Les petits sapins usés, brûlés, jetés sur le trottoir à la fin des célébrations glauques de décembre me mettent les larmes aux yeux. Réellement.

Je suis d'une empathie maladive. Les gens, les pigeons, les plantes, tout ce qui est en souffrance me fait du mal aussi.

Je garde chez moi un coquillage depuis des années juste parce que quelqu'un devant moi sur la plage l'avait jeté pour un autre plus beau. Le coquillage m'avait fait de la peine.

Le jour où Tigre m'a offert un manteau, nous avons jeté l'autre qui tombait en lambeaux, et je n'ai pas pu le mettre dans la poubelle avant de l'avoir longtemps embrassé et remercié pour ce chemin parcouru.

Tigre s'est moqué de moi.
Moi aussi je me suis moquée de moi.

Mais cet amour absolu est un reste de l'enfance, quand je pensais déjà que toutes les choses ont une âme. Mêmes les choses vides. Même les choses mortes. Même les manteaux.



jeudi 3 janvier 2013

Les yeux fermés

Je n’ai jamais pensé à l’année 2013. Plus jeune, je me souviens très bien d’avoir employé "en 2012" comme on dirait "à la st glinglin" en imaginant qu’en 2012 je serai vieille vieille vieille tellement vieille que j’en serais sûrement morte.
Mais du coup, 2013, rien. Sur mon planning de l'existence, 2013 n’existait pas.

C'est au même âge que j'ai commencé à marcher dans la rue les yeux fermés( pour être prête si un jour je devenais aveugle) et à écrire de la main gauche (si un jour ma main droite se trouvait coupée).
Je n'avais sans doute pas une grande confiance en l'avenir.

Je continue parfois de marcher les yeux fermés, petit défi sur les trottoirs, adrénaline du pauvre, mon record est de quinze pas.
Après, le corps panique.

Avant je n'avais pas les corps flottants. Je pense que grâce à eux, annulant la monotonie des paupières closes, je pourrais maintenant dépasser quinze.

On me retrouvera percutée par une voiture avenue Daumesnil et on dira "elle a battu son record, et de beaucoup."

C'est pareil quand je passe trop de temps sans voir Tigre. Les animaux sous les paupières ne suffisent pas à combler ce manque.

Alors, le corps panique.



mercredi 2 janvier 2013

Irrésolue

Toutes les résolutions du monde ne changent pas ceci : les deux premiers jours de l'année se passent toujours dans un coton flou, avec un arrière-goût de cigarette. Même si on ne fume plus (parce que, ça y est : on ne fume plus).
Alcool et danse mêlés, à l’orée du premier jour on a envoyé des baisers par textos, reçu des messages anonymes, on s'est couché moite au lever du soleil après un voyage en taxi (cette année on en prendra moins, c'est juré) et depuis on ne s'est pas trop réveillé.

Dans la brume du monde nouveau mon corps frustré se tend tout entier vers les mains de Tigre, qui n'est pas là.

Je pense à lui plus qu'il ne croit. J'attends ses messages plus que je ne le dis. Cette nouvelle année va tout empirer, j'ai l'impression, au niveau du cœur et de l'attachement.

Ce salopard me manque. Je dis ce salopard parce que je lui en veux de me mettre dans cette situation là, le manque atroce alors que j'avais rien demandé. Il est venu me chercher, cet immense, il est venu me chercher et me droguer de son odeur, de ses gestes, de son sexe, qui lorsqu'il n'est pas là me brûlent de leur absence comme une partie arrachée de moi. Il m'a rendue heureuse et je ne sais pas quoi en faire du tout, on fait quoi, quand on est heureux?


Quand il ne me le dit pas je ne sais pas qu'il m'aime.
Et quand il me le dit, je crois qu'il ment.